En marge de la société rurale:
Quelle urbanisation pour la société rurale au Maroc ?
Étant l'objet de changement social, la société marocaine est passée d'une société tribale à une société moderne caractérisée par son aspect "national" et dont l'Etat est omnipotent et omniprésent. Celui-ci a réalisé pour la première fois une unité territoriale, dont toutes les régions rurales et urbaines sont, en principe, soumises au même traitement sur le plan politique.
Désormais, la société marocaine est engagée dans un processus de construction nationale dont les critères sont censés être basés sur un projet défini comme une action collective, visant la suppression des obstacles(physiques, sociaux, culturels, etc...) qui empêchent la rencontre et la communication entre tous les acteurs sociaux considérés dorénavant comme membres d'une nation unifiée.
Ceci est d'autant plus important et nouveau que dans le Maghreb, en général, et le Maroc, en particulier, on assistait à un décalage et à une discontinuité entre le rural et l'urbain et que chacun vivait replié sur soi, en autarcie, comme le souligne J. Berque en écrivant : "Un violent décalage oppose, de part et d'autre des murailles, le citadin à son compère rural. Le langage, les habitudes, l'Histoire, le mode de vie, la figure même et les vêtements ne les opposent pas moins l'un à l'autre. Le grand style urbain
reste coupé du pays. Et cette discorde de style, qui reflète une discorde économique et psychologique, l'appauvrit, en cas de crise, à s'étioler"(J. Berque : Maghreb, Histoire et sociétés, P. 126).
Aujourd'hui, il est cependant question d'interpénétration des deux milieux, d'acculturation du rural à l'urbain, de domination du rural par l'urbain, bref. d'un processus d'aliénation sous l'impact du processus d'urbanisation des compagnes.
Quelle urbanisation pour la campagne ?
Parce qu'elle est le lieu de concentration des industries, des usines, des équipements divers, et capitale administrative,culturelle et politique, la ville a presque fait l'objet unique des études sur le processus d'urbanisation. Par contre, considéré comme le refuge des traditions, le siège des archaïsmes divers, le milieu rural est, dans cette perspective,relégué au second plan, marginalisé, dominé, et ne faisant que rarement, sinon jamais, l'objet d'une étude détaillée sur la question urbanistique. Ce fait estétroitement lié à la conception que l'on se fait du développement. Celui-ci,défini comme un investissement économique, une croissance et une expansion del'infrastructure matérielle, ne pourrait couvrir tous les aspects del'évolution sociale citadine et rurale. Il s'agit là de l'urbanisation desvilles, grandes, moyennes et petites, sans se préoccuper des campagnesdéshéritées et sans se donner la peine d'imaginer une "urbanisationmentale", une acculturation du rural à l'urbain. C'est ce dernier typed'urbanisation qui nous intéresse ici.
En effet, appréhendée dans cette optique,l'organisation est à saisir à, travers ses effets se manifestant tant par latransformation relative de l'économie que par l'imprégnation lente des symbolesurbains par les ruraux. Ainsi, la campagne est pénétrée par l'urbain qui enfranchit les limites. La ville en aviolé l'isolement par ses services, ses attractions, ses moyens decommunication, etc… on dirait que la mutation de la société rurale s'effectuesur le mode d'une aliénation, puisqu'elle se sert de la ville comme médiationpour se penser et préparer son avenir. De fait, l'urbanisation, appréhendéedans ses effets comme une force acculturative et aliénante, est dans sonorigine, l'apanage de la ville, ou plutôt
comme l'affirme P. Rambdu : "Une société s'urbanise dès qu'elle se fait une image de la ville qui lui sert de guide pour orienter ses attitudes et ses comportements ... Cette urbanisation mentale est déjà un réseau de liens tissésentre les deux sociétés et une réponse aux déséquilibres suscités parl'évolution".
Pourtant, si l'urbanisation est liée à la ville et émane de la ville, la réalité rurale supposerait par conséquent une identité spécifique qui se caractériserait par la faible densité de population, par le fait d'habiter et de travailler en "milieu naturel" (directement au contact de la nature et en lutte contre elle), par les efforts et durables"sentiments d'appartenance" à l'espace, au terroir et aux groupes humains qui y vivent, par la tendance à une fusion du groupe domestique, du groupe de production et du groupe de consommation.
Or, aujourd'hui, la ville grignote la campagne, enréduisant ces caractéristiques distinctives par rapport à la ville, ce qui nousamène à mettre en relief tout un réseau de voies de pénétration par le biaisdes influences "en chaîne" des villages et villes jusque dans lesendroits les plus reculés. Il s'agit, en ce sens, d'une rencontre entre lesdeux milieux rural et urbain, qui se fait à la manière d'une culture dominéepar une autre dominante.
En vérité, cette manière de voir, d'analyser, nousévite, tout d'abord, de suivre le modèle anthropologique élaboré à partir desociétés dites
primitives, et aussi toute approche systémique selon laquelle tout est donné ettout est cohérent. Ceci, parce qu'une telle approche anthropologique méconnaîtet dissimule le changement, les contradictions entre les sous-systèmes et lesconflits internes, et suppose, évidemment, que la société à étudier est àenvisager comme une entité en soi, un monde clos. Or, dans le nouveau contexte de la division internationale du travail et l'établissement d'un Etat/ Nation périphérique, il serait absurde de ne pas saisir la réalité rurale dans toute sa complexité, à travers les échanges, les migrations, les déplacements,etc..., qui font du milieu rural un objet dont l'étude scientifique est à effectuer loin d'une conception qui le saisit comme clos et homogène.
Ensuite, saisi dans sa complexité, son interaction inégale avec le milieu urbain et la société englobante, le milieu rural ne serait plus étudié dans une perspective dichotomique (rural/urbain, tradition/modernité, développé / sous-développé, économie de marché! économie de subsistance; milieu agraire / milieu industriel; milieu naturel/milieu technique; statique/dynamique;etc...) qui consiste en une trop facile réduction de la réalité rurale et urbaine à la fois, et qui, tout en se plaçant dans un schéma évolutionniste,conçoit la ville comme l'aboutissement d'une évolution continue vers lequel s'oriente le milieu rural, ou plutôt comme un modèle idéal opposé à lui. En tout cas, les risques épistémologiques sont nombreux si on accorde une grande importance à l'un des termes de la relation au détriment de l'autre. C'est effectivement dans ce sens que le séminaire sur "les dualisme rural au Maghreb-problèmes et politiques" qui s'est tenu à Alger, du 13 novembre au 8 décembre 1972, et qui a regroupé chercheurs, économistes et techniciens des trois pays, s'est terminé avec l'avis unanime des participants à critiquer ce concept de dualisme, et dans son essence et dans son contenu idéologique.
Enfin, saisie dans sa complexité et soninterpénétration, avec le milieu urbain, la société rurale marocaine, dont laconnaissance de la population est encore, par bien des aspects, élémentaire,voire inexistante, exige qu'on fasse une étude approfondie de ses diversaspects et traits du processus d'urbanisation la concernant.
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