témoignage Être Psychologue au Maroc, un métier en devenir



témoignage
Être Psychologue au Maroc,
un métier en devenir
Jacques Garry
Psychologue retraité,
Chargé de mission Éducation de la FFPP.
Étant un pays en développement, le Maroc a connu
des changements tellement brutaux et profonds
qu’ils ont bouleversé le système des normes et
des valeurs sociales régissant les représentations
sociales, les comportements individuels et
collectifs, et sans laisser, par conséquent, intact
le système de socialisation et d’indentisation
(construction de l’identité) en place. (El Mostafa
HADDIYA, doyen de la faculté pluridisciplinaire
de Safi, président de la SMP.
Pendant un séjour au Maroc, j’ai pu rencontrer des jeunes psychologues en formation dans une école privée de Casablanca et les membres (surtout universitaires) de la Société Marocaine de Psychologie (SMP) à Rabat.
Il apparaît que les jeunes psychologues marocains sont dans une situation très inconfortable, pris entre une formation universitaire de haut niveau qui se rapproche de celle dispensée en Europe et une réalité de pratique nettement plus délicate voire discutable à certains égards.
Au cours d’une intervention auprès des étudiants marocains d’une école privée (école supérieure de psychologie à Casablanca), j’ai pu présenter des éléments de réflexion autour de la pratique des psychologues dans le champ éducatif. Il y a de leur part une très grande curiosité pour l’exercice de la profession même s’ils ne paraissent pas avoir une image précise de ce que l’on est en droit d’attendre d’eux comme futurs professionnels de la psychologie en regard de ce que l’on connaît en Europe. Ils semblent avoir des contrats de travail très flous ne faisant que peu ou pas référence à leurs compétences acquises. Les conditions d’exercice sont aussi problématiques puisque les lieux, les horaires et les statuts ne correspondent pas à ce qu’ils sont en droit d’exiger. En un mot, tout reste à créer pour un libre accès et exercice de la psychologie au Maroc.
Comme le Maroc ne semble pas remplir les conditions d’un état de droit (cf. Tahar Ben Jelloun) tel qu’il régit l’activité des psychologues en Europe et Amérique du nord, les jeunes étudiants et professionnels sont soumis à des contraintes sévères qui mettent en doute la référence à une déontologie du métier (respect des personnes, confidentialité, libre expression, libre accès...) déontologie qui resterait encore à définir au Maroc. Sur le marché du travail, les psychologues, toutes formations confondues, se heurtent à d’autres professionnels auto-proclamés psychologues, psychothérapeutes, coachs, et gourous de tout acabit. Certains d’entre eux ont même commencé un lobbying en vue de faire reconnaître par les autorités un titre de psychothérapeute dont il y a toutes les raisons de douter de la qualité.
Le métier au Maroc est trop récent pour pouvoir s’appuyer sur une juste interrogation des usagers. Le mésusage d’un titre est évident.
Une rencontre avec les membres éminents de la SMP montre les limites actuelles des revendications. Il y a souvent confusion entre titre et statut, ce qui brouille le message des psychologues et formateurs universitaires en direction des instances gouvernementales. Ces dernières, peu au fait des exigences du métier, ne semblent pas, pour l’instant, s’intéresser à la protection d’un titre et par conséquence à celle du public. Le public, lui, devient de plus en plus au fait de la nécessité de chercher de l’aide auprès de professionnels, mais lesquels ? La profession se mobilise peu à peu mais tous savent que le chemin sera difficile pour parvenir à un titre unique de psychologue avec une formation et un exercice réglementés.
Il paraît délicat pour les psychologues marocains de copier les modèles européens dont ils sont les plus proches car les conditions générales politiques, sociales voire ethniques compliquent la reconnaissance de la profession.
Pour ce qui concerne l’avenir de la profession au moins dans le champ de l’éducation, il est important de souligner l’extrême précarité du système public éducatif. Si on se réfère à l’ouvrage bien documenté de M. le Professeur El Mostafa HADDIYA, on constate un taux d’analphabétisme récurrent proche des30% de la population, en constante régression depuis quelques années mais qui est le plus élevé des pays du Maghreb, accompagné de fortes disparités villes/campagnes et hommes/femmes avec un accès aux écoles, collèges, lycées qui reste l’exception.
Le développement des structures privées est phénoménal et traduit bien les inégalités de traitement. Dans ce cas, on comprend bien que les difficultés scolaires et/ou sociales persistent sans que l’aide des psychologues soit recherchée.
Il en est de même pour la scolarisation des handicapés, qui n’en est qu’à son tout début. Il y a donc bien un extraordinaire terrain de développement pour un exercice maîtrisé et conscient de la psychologie au Maroc.
Les jeunes psychologues vont devoir faire preuve de courage et d’inventivité pour surmonter les obstacles dans cette société multiculturelle et en développement voire bouleversement ultra rapide, à l’image de presque toutes les sociétés africaines.
In : Fédérer                                                                                                                                              LE BULLETIN DES PSYCHOLOGUES ET DE LA PSYCHOLOGIE, No 78 Mars 2015

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