Rôle de l'école dans le déracinement des jeunes ruraux

Rôle de l'école dans le déracinement des jeunes ruraux
Dominé et traversé par la culture urbaine, le milieu rural se heurte, par la force des choses, à l'émergence de nouveaux besoins et aspirations, dont la réalisation au sein du contexte socio-politique
en vigueur n'est pas une chose facile et à la portée de tout le monde. Cependant, la satisfaction de certains besoins nouveaux et la réalisation de certaines aspirations

(achat de radio, radio-cassette, téléviseur, internet, camion, etc...) ont contribué relativement à la "modernisation" de l'aspect immédiat et général du milieu rural, sans qu'une telle modernisation soit entendue comme étant synonyme de développement.



En effet, vivant sous le poids de l'importation des moyens de communication, diffusés par le processus d'urbanisation en cours, le milieu rural s'est trouvé en face d'institutions étrangères et importées, à
savoir, entre autres, l'école, dont les conséquences sont d'autant plus déterminantes et décisives, sur le plan socio-culturel, que leur implantation massive est prise en charge par les pouvoirs politiques en place. D'autant plus qu'elle véhicule, dans un contexte dominant / dominé, les éléments
d'une culture qui favorise " la rupture" avec le milieu rural qui semble, depuis longtemps, être perçu comme mineur. Pourtant, l'école en tant qu'institution socialisante est déterminée dans son rôle, son statut et sa signification suivant les milieux.


Implantée récemment dans le milieu rural marocain,l'école est supposée, en principe, prolonger le processus dynamique du développement et de l'épanouissement de la personnalité de l'enfant,
dont les éléments constitutifs ont déjà été mis en place dans son milieu familial. Ceci est généralement vrai pour les sociétés occidentales dont le
changement social continu et cumulatif favorise l'émergence normale de telles institutions (l'école entre autres) comme complément de l'institution
familiale.


Par contre, s'agissant de la société marocaine, en général, et le milieu rural, en particulier, il importe de s'interroger sur le type de continuité et
de prolongement effectifs entre les fonctions de la famille et celles de l'école. Cette interrogation est d'autant plus importante que l'institution scolaire ne fut pas, dans son émergence, le résultat d'un changement social endogène. De là, nous pensons que l'étude de toute relation avec l'école
nécessite qu'on la replace dans ce contexte socio-historique particulier. Il nous permet de saisir le type de clivage existant entre la famille et
l’école sur le plan socio-culturel du moins, et surtout si nous savons que le modèle culturel véhiculé par l'institution scolaire ne peut être assimilé
sans faire apparaître un conflit d'identité qui se joue au niveau de la totalité des rôles sociaux, voire des normes spécifiques à la société rurale
en question.

Cela dit, vivant en effet dans un milieu où les parents sont mentalement et artificiellement acculturés, les jeunes scolarisés sont en état de conflit culturel inégal, entre le milieu d'origine dévalorisé et le milieu urbain idéalisé et dont les valeurs constituent le modèle à suivre et à adopter, à travers l'institution scolaire. C'est un conflit qui va jusqu'à la rupture et la discontinuité sur le plan social, culturel et économique,entre la famille rurale et l'école.

Ainsi, considéré dans cet état, le processus de socialisation du jeune scolarisé ne serait pas un échange dynamique, constructif et contribuant à
l'intégration de plus en plus critique du jeune dans le milieu auquel il appartient. Ceci est vrai, car, dans un état de rupture et d'acculturation,
c'est la relation même entre le jeune scolarisé et son environnement qui se trouve rompue et déformée, étant donné que la personnalité ne se
constitue progressivement que par l'interaction sociale et la confrontation à autrui. Ainsi, il importe de souligner que dans un contexte de dévalorisation culturelle, personnelle, sociale, où le jeune scolarisé est considéré comme étant le compensateur et le moyen de récupération de "l'image de
soi" dépréciée, l'intériorisation des normes culturelles véhiculées dans ces milieux n'aboutirait qu'à la construction d'une "image de soi"qui répond à l'image projetée par le milieu urbain dominant.


Ceci est d'autant plus objectif et réel que le jeune scolarisé est en situation permanente de dévalorisation des modèles parentaux d'identification, modèles nécessaires pour le processus évolutif du jeune sur tous les plans. Souffrant ainsi d'un manque de continuité socio-culturelle
entre les milieux socialisants (école / famille), donc d'un modèle culturel"systématique" de socialisation, le jeune rural scolarisé ne pourrait
ainsi vivre le processus de scolarisation et de socialisation que comme un moment de déchirement, d'aliénation et de déracinement.

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