Conception de la socialisation et l'adolescence dans un environnement urbain

Bien qu'historiquement récent, le concept de socialisation devient une notion courante, une étiquette commode dont le sens a été appréhendé différemment suivant l'idéologie et la discipline du chercheur. Dans cette recherche, la socialisation est comprise d'une manière particulière. Ainsi, saisie dans une «situation d'acculturation» particulière, selon une approche psychosociologique interactioniste et génétique qui évite toute approche conformiste et réductrice de son contenu à la simple adaptation aux normes et valeurs sociales" la socialisation est à concevoir, d'une part, comme étant un processus continu, changeant, tout au long de la vie, en vue de l'intégration sociale relative et continue de 1'individu et, d'autre part, comme un moyen d'acquérir, en intériorisant les modalités d'action (normes, valeurs, représentations sociales, etc ... ) dans le but de réaliser une relative adaptation dans le contexte et le cadre de la vie personnelle et sociale en perpétuel changement. Notons, qu'entre-temps, ce processus d'intégration continu, changeant et relatif, implique, d'une façon générale le processus de formation de l'identité psychosociale de l'individu[1].
" Cette conception globale et dynamique du processus de la socialisation est liée dans cette recherche à notre manière d'appréhender les concepts d'adolescence et d'acculturation par les moyens de communication.

Concepts d'adolescence et de socialisation
Constituant un moment important dans le développement psychosociologique, la période de 1'adolescence, dont les transformations d'ordre psychologique ont souvent été analysées en se référant aux étapes de développement antérieures, implique dans notre perspective une relative indétermination à priori, comprenant la possibilité d'évolutions variées en fonction de la diversité des influences actuelles[2] .

Dépassant la définition classique de l'adolescence comme étant une phase de transition entre l'enfance et l'âge adulte, plusieurs chercheurs se refusent à fixer une borne indiquant la fin de la genèse et préfèrent considérer l'évolution génétique tout au long de la vie. Dans cette perspective, la détermination de l'adolescence est positive et non pas négative par rapport à« un avant» ou« un après ». L'adolescence constitue donc une phase de développement - parmi d'autres - caractérisée par le besoin d'autonomie et d'affirmation par rapport aux dépendances antérieures. L'adolescent se sent proche de la maturité physique et intellectuelle par sa tendance vers une certaine délivrance des structures de penser concrètes et immédiates en faveur d'une intelligence formelle, voire d'une maturité cognitive. S'agissant du côté affectif, on note chez lui un certain désengagement par rapport aux objets parentaux, .en faveur d'autres relations et d'autres objets, qui contribuent à leur tour, indirectement, à affaiblir le prestige du foyer familial.

Ainsi, l'adolescence, considérée comme un processus d'évolution vers une nouvelle phase d'autonomisation et d'individuation, nous permet, tout d'abord, d'éviter de parler en termes dramatiques de « crise d'adolescence », maintes fois critiquée, dans le but de limiter et de minimiser l'importance, ou tout au moins de ne pas en faire un cas général. Ensuite, elle nous met à l'aise dans le traitement du processus d'autonomisation et d'individuation (identisation) à travers le processus général de socialisation.

Dans ce cadre, et puisque cette recherche espère mettre en relief certains traits relatifs au processus de socialisation des adolescents scolarisés en milieu urbain et, par là même, certaines caractéristiques de leur identité, il y a lieu de noter que ce processus se déroule dans une situation spatio-temporelle particulière, qui suscite la prise en compte de plusieurs facteurs décisifs, relatifs au milieu urbain.

En effet, en milieu urbain et particulièrement dans les grandes agglomérations, la densité démographique conjuguée aux problèmes de l'espace et de l'environnement, l'augmentation des produits et des services fournis par les entreprises, l'hétérogénéité et l'expansion des métiers et des professions, l’ampleur de l'usage des mass-média (télévision, vidéo - cinéma - bandes dessinées, internet, etc .. ) et les changements déterminants intervenus dans le statut de la femme, de l'enfant, de l'homme en général, font que la nature et les types de socialisation réservés à l'enfant changent profondément par rapport aux situations antérieures.

Socialisation et acculturation
La socialisation en milieu urbain est d'autant plus complexe et difficile à mettre en exergue chez les adolescents scolarisés qu'elle se situe et se déroule dans ce qu'il est convenu d'appeler «l'ère des mass-média»[3],dont l'image audiovisuelle renverse l'ancien système de penser, de juger, etc ... , dans tous les domaines de l'existence.

Il s'agit en fait d'un phénomène d'acculturation profond dans la vie des adolescents scolarisés, acculturation de la culture dite « traditionnelle », celle de la famille et de l'école, par une autre, télévisuelle, numérique, mosaïque, dont l'impact est supposé évident dans toute interaction socialisante. Plusieurs auteurs ont souligné le fait que la télévision et le cinéma - entre autres - ont créé l'occasion d'un approfondissement des divergences entre les adolescents scolarisés d'une part, et la famille et l'école de l'autre, en leur offrant la possibilité de se créer des cadres sociaux leur permettant de comparer et de juger les attitudes des parents et des enseignants et, par là même, de se séparer des anciennes identifications. Dans ce contexte, les parents, bon gré, mal gré, sont obligés de constater que leur progéniture formule des opinions quelquefois totalement différentes des leurs. D'ailleurs, ils ne sont pas les seuls à constater une certaine déchéance; les enseignants, eux aussi, subissent tout autant les conséquences de ce phénomène.

Ainsi, créant une nouvelle ambiance sociale, un nouvel ordre spatio-temporel, les mass-média et leurs conséquences interpellent le psychosociologue et l'incitent à se poser des questions concernant leur impact direct et indirect sur le rôle des agents socialisants «traditionnel » : la famille et l'école. De telles questions sont d'autant plus importantes et déterminantes, qu'elles nous permettent d'éviter les craintes maintes fois exprimées quant au rôle éducatif et socialisant des mass-­média, rôle souvent sans importance d'un point de vue formationnel, étant donné l'absence de communication réelle (feed-back) entre l'enfant et les mass-média, l'absence de pédagogie active de formation et l'inexistence de contrôle efficace et nécessaire pour le déroulement de tout enseignement.

Ce mépris manifesté quant au rôle influent des mass-média dans le processus de socialisation, a favorisé l'émergence d'un obstacle épistémologique de taille que nous espérons surmonter dans cette étude.

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[1] - Haddiya El Mostafa : Socialisation et identité. Étude psychosociologique de l'enfant scolarisé au Maroc, Casablanca, Imprimerie Najah EI-Jadida, 1988, 220 pages, pp. 11-12.

[2] - Lehalle H. : Psychologie des adolescents, Paris, P.U.F., 1985, p. 11.

[3] - Lazar J. : École, communication, télévision, Paris, P.U.F., 1985, p. 77.

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